7

 

Les remparts de Venta Belgarum n’apparurent qu’en fin d’après-midi. Leurs vêtements étaient trempés par le crachin qui tombait depuis leur départ. Ils avaient traversé de rares hameaux à l’aspect misérable où femmes, enfants et vieillards les avaient regardés avec inquiétude, sans leur adresser la parole. Les hommes en âge de se battre paraissaient avoir disparu.

Venta était une ville d’importance, avec un forum, une basilique, des thermes. Les maisons des plus humbles étaient en bois, mais de riches demeures de pierre y avaient aussi été bâties et des échoppes proposaient nourriture et étoffes. Pourtant on devinait la ville sur le déclin. Les remparts étaient endommagés, les rues encombrées de détritus et envahies de mauvaises herbes. De nombreuses maisons étaient inhabitées et des boutiques fermées.

— D’abord trouver une auberge, fit Azilis d’une voix tendue. Il faudra changer de vêtements. Nous ne pouvons pas nous présenter au roi dans cette tenue. Je mettrai une de mes plus belles tuniques et des bijoux. Tu devras aussi te raser. On sera plus enclin à nous mener jusqu’à lui si nous n’avons pas l’air de vagabonds.

— Ne t’inquiète pas.

Il lui pressa l’épaule doucement. Azilis se détendit. Sa nervosité avait augmenté à chaque mille parcouru. Son cœur battait trop vite et ses mains étaient glacées. Tant de choses dépendaient de cet entretien avec Ambrosius ! Le Haut Roi était là, dans cette ville. Ils allaient enfin lui remettre Kaledvour, offrir la paix à Aneurin en accomplissant leur serment. Et peut-être retrouver Caius.

Elle se fit indiquer la meilleure auberge. C’était une maison à deux étages non loin de la basilique. Elle était construite en U autour d’une cour intérieure pavée. Une galerie couverte courait le long du premier étage, donnant accès aux chambres. L’endroit avait un aspect prospère bien qu’étrangement calme. Un jeune garçon se précipita pour s’occuper des chevaux mais Kian refusa de lui confier Luna. Il soigna la jument pendant qu’Azilis payait leur chambre auprès de l’aubergiste.

On leur donna une belle pièce au premier étage. Un grand lit, un coffre, une table : ce qui, quelques semaines plus tôt, aurait paru bien simple à la jeune fille était aujourd’hui le luxe absolu.

— Tu crois qu’il nous recevra dès ce soir ? interrogea Kian, se laissant tomber sur le lit.

Son visage trahissait sa fatigue. Il n’avait pas dormi depuis un jour et une nuit. Elle s’assit près de lui.

— Mieux vaut attendre demain pour demander audience, tu ne penses pas ?

— Si. Je te sentais impatiente, c’est tout.

— C’est vrai. Nous sommes si près du but. J’ai peur que le Haut Roi refuse de nous recevoir ou qu’il ne soit pas à Venta. Imagine qu’il se trouve dans le nord, ou dans les montagnes d’Arfon à l’ouest ?

Il étouffa un bâillement.

— Pourquoi serait-il si loin alors qu’une attaque saxonne menace par ici ?

Elle s’allongea près de lui, faisant courir ses doigts le long de sa mâchoire.

— Tu as raison, je m’inquiète inutilement. Tout ira bien.

Kian s’assoupit pendant qu’Azilis vaquait à sa toilette et enfilait ses vêtements. Elle choisit une tunique verte qui mettait en valeur ses yeux et son teint, coiffa ses cheveux en arrière, les dissimula sous un voile. Il n’était plus utile de prétendre être un garçon. Au contraire, il importait de montrer à tous qu’elle était Niniane Sennia, une riche domna venue de Gaule pour offrir au Haut Roi un cadeau somptueux. Puis elle réveilla Kian.

Lorsqu’ils descendirent l’escalier pour se rendre dans la salle à manger, lui aussi s’était métamorphosé. Le voyant rasé et vêtu d’une tunique rouge taillée à Abrinca, paré du bracelet d’Aneurin, Kaledvour dépassant du fourreau attaché dans son dos, personne n’aurait pu imaginer qu’un mois plus tôt il n’était qu’un esclave.

Un unique voyageur, assis à une table près de la fenêtre, achevait son repas quand ils commencèrent le leur. Il quitta les lieux presque aussitôt. Dehors la pluie continuait à tomber. Un feu brûlait dans la cheminée devant laquelle un vieux chien dormait. Parfois l’animal tressaillait et grognait, une bûche s’effondrait dans un crépitement, ou de la cuisine parvenait le heurt d’une cuillère et d’une marmite. L’auberge était si tranquille qu’ils s’étaient mis à parler à voix basse sans s’en rendre compte. Quand l’aubergiste vint débarrasser leurs plats, Azilis voulut en savoir davantage.

— C’est fort calme ce soir, remarqua-t-elle. Vous n’avez pas d’autres clients ?

L’homme regarda autour de lui d’un air égaré. Il s’essuya le front d’un revers de main. Il avait l’aspect d’un homme qui n’a pas eu son comptant de sommeil depuis longtemps.

— Ils sont partis ce matin. Après toute l’agitation… Maintenant tout le monde attend l’issue des prochains combats. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que les choses tournent au mieux. Sinon…

L’homme laissa sa phrase en suspens comme s’il craignait de la terminer. Ses traits tirés exprimaient l’inquiétude mais aussi la résignation.

— De quelle agitation parles-tu ? demanda-t-elle.

Il lui jeta un regard étonné.

— Eh bien, beaucoup de ceux qui sont venus pour les funérailles ont dormi ici. Je n’aurais pas pu vous loger hier soir. Mais ils sont tous repartis après le conseil. À ce qu’il paraît, aucune décision n’a été prise. Comme si ça ne sautait pas aux yeux, qui doit lui succéder ! Bâtard ou pas, qu’est-ce que ça fait tant qu’il maintient les Saxons hors de nos terres ? Et je prie Dieu qu’il y parvienne une fois encore, sinon ces querelles de succession n’auront plus d’importance.

Un grand froid envahit Azilis. Elle tenta de déglutir, sa gorge était trop serrée. Elle balbutia :

— Mais de quelles funérailles parles-tu ? Qui donc est mort ?

L’homme la dévisagea avec stupeur.

— Vous ne savez pas ? Mais l’Amherawdyr[54] bien sûr ! Emrys Wledic. Ou, comme vous l’appelez en latin, Ambrosius Aurelianus.

L'épée de la liberté
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